Apprendre une langue étrangère muscle le cerveau
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En 2013,
l’anglais sera enseigné à la plupart des élèves de primaire
romands.
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A l’étranger, le Suisse est loué pour son
caractère polyglotte. Une évidence pour un pays disposant de quatre
langues officielles, ce multilinguisme est renforcé par des années
d’enseignement des langues nationales. Alors que le plan d’études
romand rend obligatoire d’ici à la rentrée 2015 l’enseignement
de l’anglais en 7e HarmoS (10-11?ans), quelques mythes sur
l’apprentissage des langues ne résistent pas à un examen
scientifique.
Contrôle renforcé
Tout d’abord, le bilinguisme n’altère pas le
cerveau, insiste Jean-Marie Annoni, professeur de neurologie à
l’Université de Fribourg. Pas plus qu’il ne cause de troubles de
la personnalité comme on pouvait le croire il y a cent ans, ajoute
Raphael Berthele, professeur à l’Institut de plurilinguisme de
Fribourg.
Au contraire, l’apprentissage d’une langue
stimule le développement du cerveau, explique le neurologue. On
pensait autrefois que cet organe était stable à partir d’un
certain âge. On s’est pourtant rendu compte qu’il se modèle au
cours de la vie. En l’occurrence, deux zones se développent avec
l’acquisition d’une langue supplémentaire. D’abord celle liée
à la reconnaissance des sons.
Logique: le cerveau doit distinguer un nouvel
ensemble de sons caractéristiques de la nouvelle langue (phonèmes).
On voit également grandir des structures dites de contrôle,
permettant au cerveau d’éviter les interférences lorsqu’il
utilise l’une ou l’autre langue. Grâce à ces filtres, un
bilingue français-allemand peut tenir une conversation avec un
interlocuteur français dans un restaurant où tous les autres
convives parlent bruyamment en allemand.
Ces développements du cerveau ont-ils d’autres
avantages? Autrement dit, les personnes polyglottes sont-elles
meilleures dans des domaines autres que linguistiques? Des
différences ont été mesurées, surtout en laboratoire: les
bilingues semblent plus rapides dans des tâches qui nécessitent un
contrôle mental de certaines actions (arriver à freiner rapidement
en voiture alors qu’on se préparerait à accélérer, par
exemple). Leurs systèmes de contrôles surentraînés semblent aussi
les aider à résister un peu mieux à la maladie d’Alzheimer, en
retardant son éventuelle apparition.
Pas de bilingues parfaits
Mais la sagesse populaire qui veut que «plus l’on
sait de langues, plus en apprendre une nouvelle est facile» est-elle
pour autant vérifiée? Oui et non, analyse Jean-Marie Annoni. Oui,
apprendre de nouveaux mots est plus facile puisque leur mémorisation
sollicite les mêmes zones du cerveau quelle que soit la langue. En
revanche, posséder une langue de plus sollicite davantage les
systèmes de contrôle.
Une chose est sûre cependant: l’apprentissage
d’une deuxième langue «modifie la première de manière souvent
très subtile» explique Raphael Berthele. «Des interférences et
des transferts entre les deux langues sont en cause.» Tous ceux qui
ont passé des années à l’étranger connaissent la difficulté
que l’on peut avoir par la suite à écrire ou à trouver le mot
juste dans sa langue maternelle. Cette influence va aussi de la
langue première à la langue supplémentaire: les Romanches semblent
souvent parler un allemand parfait. A bien écouter pourtant, les
accents de la langue romanche «contaminent» légèrement leurs
productions en allemand.
Apprendre une langue implique-t-il donc le sacrifice
d’une partie de sa langue maternelle? «Cela dépend des normes que
l’on applique, précise le linguiste. Si le standard de grammaire
est celui, très élevé, du «Bon usage» de Grevisse, alors oui,
les bilingues sont moins bons que les monolingues. Le bilingue est un
locuteur compétent et spécifique, mais il n’arrive pas, dans
chaque langue, au niveau qui ferait de lui un «double monolingue».»
A quel âge commencer?
Restent deux questions qu’illustre le débat
scolaire romand. Tout d’abord, apprendre deux nouvelles langues de
front crée-t-il une confusion? «Un effort supplémentaire – mais
pas énorme – pour séparer les langues est requis», explique le
professeur Annoni. Les élèves qui connaissent des troubles du
langage importants tels que la dyslexie voient par contre leurs
difficultés s’accroître. Autre question de taille: à quel âge
faut-il débuter l’apprentissage des langues? Il est clair qu’une
langue supplémentaire demande un apprentissage explicite aux adultes
alors que les très jeunes enfants l’«absorbent», eux, facilement
et naturellement. Perd-on progressivement cette capacité ou
existe-t-il un palier important (une période critique située entre
la fin de l’enfance et le début de l’adolescence)? Les
scientifiques ne s’accordent pas sur ce point.
Contrairement à ce que l’on pense habituellement,
les adultes apprennent d’ailleurs plus vite une langue que les
enfants, surtout au début de l’acquisition. Revers de la médaille,
ils ont par contre moins de chances de la posséder un jour
parfaitement. Plusieurs critères évaluent en effet l’acquisition
d’une langue: qualité du résultat final, méthode et vitesse du
processus, rappelle le professeur Berthele. Trois facteurs qui
varient selon l’âge mais aussi le contexte, une donnée peu prise
en compte dans le débat public sur l’apprentissage des langues à
l’école.
Alors, l’anglais au primaire est-il une bonne
idée? Faudrait-il même l’enseigner dès le berceau? «La mission
de l’école n’est pas de former des individus parfaitement
bilingues, tranche le linguiste. Mais il est sûr qu’en leur
apprenant les rudiments d’une langue étrangère, on prépare leurs
cerveaux à mieux relever les défis d’un monde multilingue.»
Le Matin Journal Suisse. Par Benoît
Perrier, le 01.09.2012. Lien article original

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